RÉALISME SOCIALISTE

RÉALISME SOCIALISTE
RÉALISME SOCIALISTE

Le réalisme socialiste est la doctrine officielle dans le domaine de l’art en vigueur tant en U.R.S.S. que dans les pays directement soumis à son hégémonie politique. Cette doctrine a trouvé sa formulation complète au cours du premier congrès des écrivains soviétiques qui se tint à Moscou en août 1934. Le réalisme socialiste exige de l’artiste «une représentation véridique, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. En outre, il doit contribuer à la transformation idéologique et à l’éducation des travailleurs dans l’esprit du socialisme». Parmi ceux qui participèrent activement à l’élaboration de la doctrine, on relève notamment les noms de Gorki, de Jdanov et de Karl Radek.

Historique et définitions

Le 23 avril 1932, un décret du comité central du Parti communiste avait «liquidé» officiellement tous les groupements d’artistes et d’écrivains existant en U.R.S.S., et institué des syndicats uniques rassemblant tous les praticiens dans le domaine des arts visuels, de la littérature et de la musique. L’appareil du parti possédait le contrôle effectif de tous les syndicats, et ces derniers étaient en mesure de surveiller la production artistique dans tout le pays. Ils géraient le budget national pour les arts, et pouvaient intervenir dans tous les contrats passés entre leurs adhérents et les autres organisations publiques (éditeurs, musées, théâtres, maisons de la culture, clubs d’entreprise). C’est pourquoi, lorsque le réalisme socialiste devint en 1934 la doctrine officielle des syndicats d’artistes et d’écrivains, tous ceux qui souhaitaient continuer de travailler pour un public se trouvaient contraints d’y souscrire.

Si tant est qu’on puisse trouver une définition officielle satisfaisante de cette doctrine, c’est au Dictionnaire de philosophie , (Moscou, 1967) qu’il faut s’adresser; le réalisme socialiste y est ainsi défini: «Son essence réside dans la fidélité à la vérité de la vie, aussi pénible qu’elle puisse être, le tout exprimé en images artistiques envisagées d’un point de vue communiste. Les principes idéologiques et esthétiques fondamentaux du réalisme socialiste sont les suivants: dévouement à l’idéologie communiste; mettre son activité au service du peuple et de l’esprit de parti; se lier étroitement aux luttes des masses laborieuses; humanisme socialiste et internationalisme; optimisme historique; rejet du formalisme et du subjectivisme, ainsi que du primitivisme naturaliste.».

Quant à l’artiste, il doit «avoir une connaissance approfondie de la vie humaine, des pensées et des sentiments, être extrêmement sensible aux expériences humaines et capable de les exprimer dans une forme artistique de qualité. Tout cela fait du réalisme socialiste un puissant instrument d’éducation du peuple, dans un esprit communiste. Fondé sur la vision marxiste-léniniste du monde, le réalisme socialiste encourage les efforts des artistes et les aide à définir des formes et des styles divers en harmonie avec leurs inclinations personnelles.»

À première vue, l’objectif politique de la doctrine semble clair, même si son application artistique pose de sérieux problèmes. Cependant, une lecture attentive en dégage rapidement l’ambiguïté. La vérité doit être vue «d’un point de vue communiste»; la réalité doit être «représentée» dans son «développement révolutionnaire». Formules qui offrent la possibilité de déterminer une «réalité» seconde qui viendrait se substituer à la réalité vécue. Et telle fut la fonction que le réalisme socialiste, lorsqu’il cessa d’être une méthode librement adoptée pour devenir une prescription obligatoire, se vit chargé d’assurer.

En 1932, Staline qualifia pour la première fois les écrivains d’«ingénieurs de l’âme». En décidant en 1927 la collectivisation obligatoire des terres et en lançant un fracassant programme de construction d’une industrie lourde, il ouvrait une ère de sacrifices énormes. Au cours des années trente, les bénéfices que les masses retiraient de la révolution étaient essentiellement d’ordre culturel: des améliorations matérielles immédiates étaient impossibles, les droits politiques avaient disparu, la police secrète était plus puissante qu’au temps des tsars; ce qui demeurait de plus substantiel, c’était l’éducation et le discours de l’idéologie socialiste. À en croire cette idéologie, les plans quinquennaux devaient construire «le socialisme dans un seul pays». Les arts, dont le développement devait être lui aussi planifié, se voyaient confier la tâche de présenter chaque sacrifice nécessaire comme un triomphe de la lutte des classes – d’où la confiance que la doctrine plaçait en un certain naturalisme, qui fournissait un alibi commode pour tout ce qui était artificiel et faux en le camouflant sous une crédibilité de surface. La lutte des classes était présentée avec insistance en termes d’exigence patriotique et le mot « soviétique » en vint à désigner une citoyenneté; on eut recours, pour définir le réalisme socialiste, à une formule comme «contenu prolétarien sous une forme nationale» – alors qu’auparavant les théoriciens parlaient toujours de forme «internationale».

En raison de l’hiatus existant entre la vie réellement vécue et la vie telle qu’elle était représentée dans l’art, ce dernier apparut aux yeux des masses comme l’expression d’une espérance patriotique lointaine et statique qui ne devait trouver son accomplissement que dans un futur mal défini. La majorité n’en vint que très progressivement à se montrer sceptique à l’égard de l’art, car ce dernier offrait, dans le dur contexte de la vie quotidienne, quelque chose comme une promesse transcendante.

La plupart des critiques occidentaux n’ont pas vu que l’histoire du réalisme socialiste en U.R.S.S. faisait partie d’un processus dialectique. Cette doctrine mettait l’accent sur un art aisément accessible à tous, et dont les thèmes, apparemment, étaient empruntés à la vie quotidienne des masses. L’appui systématique donné par l’État à la doctrine du réalisme socialiste avait abouti à une participation populaire à tous les arts qui, en étendue comme en intensité, n’avait aucun équivalent dans le monde. Une nation de paysans arriérés et illettrés est devenue en l’espace de cinquante ans une nation où l’art occupe une place singulièrement importante. Mais le jugement du peuple se ressentait du conditionnement effectué par une doctrine dont l’objectif était de dissimuler aux yeux des masses le conflit existant entre leurs intérêts spécifiques et les intérêts de la bureaucratie privilégiée au pouvoir-bureaucratie dont la grande majorité des artistes agréés font aujourd’hui partie. Il est difficile de savoir ce qu’il adviendra de cette contradiction entre la tendance de l’art à s’ouvrir et à s’offrir au peuple et la vocation occulte de ce même art à servir une minorité.

La doctrine du réalisme socialiste s’imposa avec d’autant plus de facilité qu’elle se présentait – mensongèrement – comme l’héritière d’une tradition nationale. Nombreux en effet avaient été, dans le courant du XIXe siècle, les membres de l’intelligentsia russe pour qui l’art était chargé d’une lourde responsabilité sociale, qui prônaient la véracité aux dépens de l’esthétisme, et qui avaient tendance à faire de l’artiste une espèce de prophète social. Le roman de Tchernychevski Que faire? exprime de façon typique cette attitude spontanée et, à l’époque, librement choisie. On s’explique ainsi qu’il fut possible, ultérieurement, de présenter comme des précurseurs du réalisme socialiste des écrivains comme Nekrassov, Pissarev, Dobrolioubov et des peintres comme Répine.

Avant et pendant la révolution de 1917, cet engagement politique qui était dans la tradition des artistes russes se manifesta par une grande variété de styles et d’initiatives révolutionnaires; il suffit de penser au constructivisme, à Malevitch, El Lissitzky, Gabo, entre autres. Parmi les multiples tendances qui se firent jour, le Proletkult, fondé par Bogdanov, proclamait la nécessité d’un art prolétarien radicalement nouveau; tout autre art était qualifié de bourgeois ou de petit-bourgeois. Bogdanov était influencé par les écrits de Plekhanov, mais ce dernier se trouva d’accord avec Lénine pour dénoncer dans les idées de Bogdanov l’absence d’une véritable dimension politique. Le dogmatisme et la terminologie du Proletkult, mais non ses aspirations visionnaires, passèrent dans l’Association russe des artistes révolutionnaires (A.H.R.R.) et dans l’Association russe des écrivains prolétariens (R.A.P.P.), organisations qui furent les premières à formuler les principes du réalisme socialiste avant son institution comme doctrine officielle. Les applications dont la doctrine fut l’objet et les critères esthétiques utilisés étaient révélateurs, et cela plus nettement dans les arts visuels qu’en littérature, du goût de ces nouveaux marchands et de ce type nouveau de fonctionnaire du parti qui se hissèrent au premier rang à l’époque de la N.E.P. (Nouvelle Politique économique); les caractéristiques de cette petite-bourgeoisie rénovée sont décrites dans les œuvres satiriques d’Ilf et Petrov, de Boulgakov, de Zochtchenko, notamment. On pourrait dire, mais d’aucuns jugeraient cette interprétation formaliste, que le réalisme socialiste est né de la rencontre entre une vision exagérément simpliste de la réalité et une vulgaire recherche de l’intérêt personnel.

Applications et conséquences

L’application de la doctrine aux différents arts produisit des effets variés et inégaux, et ne fut jamais quelque chose de parfaitement cohérent. Dans la mesure où ses significations échappaient à toute prise légale ou verbale, la musique se trouva moins atteinte que les autres arts. On trouve ainsi, parmi les œuvres de valeur qui affichaient leur accord avec le réalisme socialiste, la Symphonie no 5 de Chostakovitch et la Symphonie no 6 de Prokofiev. La peinture et la sculpture se révélèrent particulièrement vulnérables du fait, notamment, qu’elles furent contraintes de revenir à un académisme artificiel et prérévolutionnaire qui était étranger à toutes les traditions russes dans le domaine des arts visuels et qui avait été importé arbitrairement par Pierre le Grand. Des illustrations caractéristiques du réalisme socialiste en peinture sont offertes par des œuvres comme Staline et Vorochilov au Kremlin de Gherassimov, Vorochilov faisant du ski , de Brodski, Matin , de Yablonskaya.

C’est la littérature qui exerçait l’influence la plus profonde et la plus large sur les masses. Certaines œuvres du début, tels Le Don Paisible de Cholokhov, ou La Défaite de Fadeïev, purent franchir les écueils du dogmatisme doctrinaire et se tailler une place importante en tant qu’œuvres littéraires. Mais avec le temps, la chose devint de plus en plus difficile: que l’on se reporte à des œuvres plus tardives de Cholokhov, comme Terres défrichées , ou de Fadeïev, comme la Jeune Garde . L’impact de la littérature sur le public russe rendit le parti extrêmement méfiant à l’égard des écrivains. Il ne suffisait pas de censurer ou d’interdire la publication. Il était toujours possible de glisser des significations cachées. Ainsi se forma progressivement un public capable de lire entre les lignes. Un langage «second» se constitua, qui servit à aller au-delà de la «réalité seconde» et permit de renouer avec la réalité vécue. On comprend que les écrivains furent, en tant que groupe constitué et proportionnellement à leur nombre, un des secteurs les plus persécutés de la population russe. Sur les sept cents écrivains qui participèrent au premier congrès des écrivains en 1934 – et dont plus de 70 p. 100 étaient âgés à l’époque de moins de quarante ans – seulement cinquante vivaient encore en 1954 pour participer au deuxième Congrès des écrivains. Beaucoup d’entre eux, certes, étaient morts à la guerre, mais les chiffres n’en restent pas moins éloquents.

Bien que la littérature officielle du parti eût fait un usage pléthorique des citations de Lénine, le fait d’associer son nom à la doctrine du réalisme socialiste est dû à une déformation de ses écrits: l’article fondamental de Lénine sur la question, L’Organisation du parti et la littérature du parti , a été écrit en 1905, à un moment où le parti émergeait de la clandestinité, et il traitait en fait des textes politiques et de propagande. Corrigeant les déformations que les idées de Lénine avaient subies, sa veuve, Nadejda Kroupskaïa, établit clairement en 1937 que l’article cité plus haut et d’autres textes similaires de Lénine n’avaient rien à voir avec la littérature en tant qu’art. Jusqu’à ces dernières années, cette mise au point est restée ignorée, comme l’ont été les éclaircissements apportés par Lénine lui-même, dans une conversation avec Clara Zetkin: «Tout artiste, et tout individu qui se considère comme tel, a le droit de créer librement en accord avec son idéal personnel, et sans tenir compte de rien d’autre.»

Réalisme socialiste doctrine esthétique, proclamée en U.R.S.S. en 1934 sous l'influence déterminante de Jdanov, qui condamne les recherches formelles ainsi que l'attitude critique de l'écrivain à l'égard de la société. (L'écrivain doit participer à l'édification de l'État socialiste. L'art doit décrire l'homme dans son travail et son combat social.)

Encyclopédie Universelle. 2012.

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